Moi, Nojoom 10 ans, divorcée

Par Georgika Aeby-Demeter

Mariages précoces au Yémen

OSER DIRE NON A UN OUI IMPOSE

Moi, Nojoom 10 ans, divorcée

A l’occasion de ses 30 ans, en novembre dernier, le Lions Club Genève-Lac avait organisé un dîner action en faveur de Khadija Al-Salami pour créer des écoles éphémères dans des camps de réfugiés au Yémen. Lors d’une nouvelle soirée ces jours derniers, réunissant plus de 170 membres et amis au Parc des Eaux-Vives, le Lions Club Genève-Lac a de nouveau accueilli Khadija Al-Salami venue présenter en ouverture son film : Moi, Nojoom 10 ans, divorcée…

Elle était là debout, près de l’entrée de l’Hôtel-Restaurant du Parc des Eaux-Vives où se tenait la soirée du Lions Club Genève –Lac. Silhouette menue, longue chevelure noire indomptée, regard sombre déterminé, sans timidité ni effacement, Khadija Al-Salami arbore un sourire retenu tout en convenance orientale. La réalisatrice du film Moi, Nojoom 10 ans, divorcée, projeté en préambule du dîner, est l’invitée d’honneur de la soirée.

Affiche du filmUne audace incroyable
C’est une affaire d’audace incroyable, d’acharnement et, peut-être, d’inconscience face aux dangers et menaces pesant sur le projet. Khadija Al-Salami avait décidé de faire un film touchée par le vécu de la petite Noujoud Ali qui, comme elle-même, avait vécu le drame d’un mariage précoce – ces unions traditionnellement nouées au Yémen offrant des enfants en mariage à des hommes plus âgés qu’elles -. Porter à l’écran l’histoire d’une fillette de 10 ans ayant réclamé le divorce et, l’ayant obtenu ! Le Yémen était encore en état de choc ! Il fallait oser.

C’est à l’initiative de Delphine Minoui, journaliste française correspondante au Moyen-Orient, qu`un livre était paru aux éditions Lafon à la suite de cette affaire largement commentée par la presse internationale. Nojoud Ali – connue sous le prénom d’emprunt de Nojoom dans le livre et qui sera repris plus tard dans le film – a été élue Femme de l’Année 2008 par le magazine américain Glamour. Une première dans ce pays du sud de la péninsule arabique et, désormais, un signe d’espoir pour ces enfants-épouses…

Interview de Khadija Al-Salami

Khadija Al-Salami réalisatrice du filmExclusif-Magazine : Moi, Nojoom 10 ans, divorcée, s’agit-il de votre histoire ? Où êtes-vous sensible au sujet pour être passée par là ?

Khadija Al-Salami : Par cette histoire je voulais aider les autres ! J’avais personnellement abordé le sujet dans un documentaire. L’histoire de Nojoom montre l’authenticité du vécu. J’ai acheté les droits pour réaliser le film et y apporter les éléments manquants au niveau de traditions occultées dans le livre. Il ne s’agit pas ici d’un acte délibérément monstrueux mais de coutumes ancrées dans la culture depuis des siècles.

L’ignorance, la pauvreté, la tradition en arrivent là. La famille n’y peut rien. Je voudrais contribuer à changer tout cela. Forcer les usages à évoluer ! L’intérêt du film est d’expliquer ce contexte culturel afin qu’il ne soit pas mal interprété. J’ai galéré 4 ans pour faire le film et trouver le budget. Personne n’y était intéressé, c’est une amie orientale qui m’a permis de le réaliser…

En attente du tournageEX. M. : Il convient d’avoir beaucoup de courage, n’avez-vous pas craint en tournant ce film au Yémen de représailles contre vous ou votre famille ?

K. Al-S. : Des menaces ? Je n’y ai pas pensé, j’ai refusé d’en voir – il y en avait partout – je voulais faire le film au Yémen et pas ailleurs, c’est tout. Aller à fond ! J’ai caché le projet à mon père et au reste de la famille alors que ma nièce jouait le rôle de Nojoom… Ma mère n’arrêtait pas de s’inquiéter.

EX.M.: Que s’est-il passé pour Nojoud Ali après le divorce ? Qu’est-elle devenue ?

K.Al-S. : La demande de Nojoud à un juge de Sanaa d’annuler son mariage – conclu pour éviter le scandale à la suite du viol de sa sœur – a fait beaucoup de bruit. En osant défier l’archaïsme des mœurs, en obtenant raison en dépit des règles, son histoire a fait la une de tous les journaux. Delphine Minoui est venue sur place pour la rencontrer. Une traductrice a servi de lien et, le livre sorti, il s’est bien vendu.

Un contrat avec l’éditeur stipulait qu’il pourvoirait à son éducation, mais en définitive, Michel Lafon s’est rendu au Yémen pour ouvrir un compte bancaire au nom de Nojoud et lui acheter une maison. Fierté blessée de chef de famille ? Son père l’a mal pris alors que toute la famille devait y habiter, Nojoud s’est adressée à un Cheikh – une autorité religieuse – pour régler le litige et, a fini par épouser son fils! Elle a aujourd’hui deux enfants. Au Yémen, une femme divorcée, n’est pas déshonorée !

EX.M. : Femme de l’année 2008, comment est-elle passée du statut de victime à celui d’héroïne ? Comment Nojoud a-t-elle vécu cela ?

K.Al-S. : La notoriété a eu un effet négatif sur elle. Son éducation payée dans une école privée, plus besoin de travailler, devenue l’objet d’attentions excessives – la presse yéménite a beaucoup parlé d’elle – Nojoud s’est mise dans la peau d’une vedette. N’écoutant plus personne, elle a arrêté l’école, rançon de son exposition, un homme a même tenté de fabriquer une vidéo avec une fausse histoire sur elle…

EX.M. : Quand avez-vous décidé de faire ce film ? Dans quelles circonstances les préparatifs ont-ils été entrepris ?

K.Al-S. : Il s’est passé 4 ans depuis l’acquisition des droits du livre, alors que j’avais déjà tout préparé. Le tournage a été très difficile. 60% de l’équipe technique et du matériel provenait d’Egypte. Nous avons été régulièrement confrontés à des situations pénibles, avec des personnes nullement préparées à vivre sous tentes dans un village peu accueillant.

Oui, nous avons fait face à des menaces, on nous a par exemple « kidnappé » le générateur et les comédiens yéménites étaient payés sous couvert. Ils ne connaissaient pas le sujet du tournage, ne découvraient leurs textes qu’au jour le jour. Seule ma nièce qui jouait Nojoom connaissait l’histoire de son personnage. Et, nous avons dû tourner en dernier, la scène de la nuit des noces…

EX.M. : Selon l’UNICEF, le Yémen occupe la 2e place au Moyen-Orient-Afrique du Nord en mariages précoces par habitant. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui, plus de 5 ans après la sortie du film ?

K.Al-S. : Avec la guerre, le sujet a été enterré, la grande question de survie prédomine sur celle de la défense des Droits de la Femme ! Néanmoins à travers le film, le sujet reste présent, il a décroché en tout 27 prix internationaux dont le Prix du meilleur film au Festival de Dubaï 2014 et celui Festival International de Rotterdam 2016.

EX.M. : Parlez-nous de vous. De votre côté, mariée à 11 ans au Yémen, divorcée, vous vous retrouvez étudiante aux USA et, plus tard, réalisatrice à Paris… Comment avez-vous fait ?

K.Al-S. : Mon enfance a été douloureuse et témoin de violences. C’est mon oncle qui m’avait obligée au mariage à 11 ans. Reniée par ma famille après mon divorce, j’ai vécu avec une mère elle-même divorcée. Travaillant à la télévision locale pour des émissions enfantines, je reprenais le chemin de l’école l’après-midi. Refusant de porter le voile, j’ai subi beaucoup de pression sociale et, en plus, travailler était mal vu !

Mais après un bac à 16 ans, déterminée à me rendre aux Etats-Unis en cours d’été, j’ai obtenu une bourse qui a changé ma vie. Elle m’a permis de continuer mes études et d’obtenir un Master en communication à l’American University à Washington Ne voulant plus vivre chez moi, j’ai décroché à l’Ambassade du Yémen à Paris un poste de conseillère culturelle et de relation presse pour promouvoir la culture yéménite.

Durant mes vacances au Yémen, avec mon salaire, j’ai commencé à tourner de courts métrages documentaires sur différents sujets sensibles, comme par exemple la corruption, filmés en caméra cachée… En 2008, arrêtée par la Sécurité Nationale, j’ai été interdite de poursuivre. J’ai pourtant réussi à monter le film et, à sensibiliser le Ministre de l’Intérieur qui fut d’accord de le présenter devant 1 500 officiers et d’organiser une discussion à l’issue de la projection. Filmée, toute cette discussion s’est rajoutée en définitive au film !

Par la suite, j’ai arrêté de travailler à l’Ambassade pour me consacrer totalement à ce type de productions. L’influence du Printemps arabe sur le Yémen a débouché sur les conflits armés que nous vivons. Mettant deux ans pour obtenir les autorisations de l’Arabie Saoudite, j’ai entrepris de faire un film sur la guerre en me déplaçant avec un passeport humanitaire des Nations-Unies. Aujourd’hui, je continue de travailler à Paris en indépendante avec une carte de séjour renouvelable.

Propos recueillis par G.A.-D.

Club service exclusivement féminin, le Lions Club Genève-Lac affiche 30 ans d’existence (2018) pendant lesquels les membres ont œuvré apportant inlassablement leur aide à de nombreuses associations et fondations. Outre leur soutien à l’Association Carrefour-Rue et aux Fondations Aigues-Vertes et REPR (entourant les familles et proches de détenus), leur contribution au projet Spinal Cord Repair du professeur Courtine permettant pour la première fois aux paraplégiques de retrouver l’usage de leurs jambes et, enfin, l’aide apportée au Burkina Faso au Centre Médical Chirurgical Pédiatrique Persis sont des actions majeures, couronnées de succès, à relever.

25 avril 2019
Khadija Al-Salami Lions Club Genève-Lac Nojoom Yemen
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