Souvenirs et nostalgie

Par Georgika Aeby-Demeter

Brunch-dictée au Noga-Hilton*
Le culot de la simplicité

Le monde pris d’engouement pour les réseaux sociaux et ces communications brèves, spontanées, informelles, c’est une déferlante de messages qui nous arrivent dans l’impatience au quotidien, sans véritable souci de belles lettres. Et, si peu d’intérêt pour l’orthographe… A l’heure où la pensée s’exprime pêle-mêle et que le partage urgent de l’intime se poursuit en vrac dans un sabir comme un raz-de-marée… Où l’écrit joue au jargon impétueux et sacrifie à la soudaineté, qu’en est-il du mot juste ?

Lors d’une traditionnelle brunch-dictée sponsorisé par GHI, à mettre au rayon des « Souvenirs et nostalgies », comme toujours, les mots avaient eu raison ! Il y a 20 ans, il y a peu, l’Hôtel Fairmont s’appelait alors Noga-Hilton :
« Après les délices culinaires, les tortures délicieuses de l’esprit ont ravi une assistance venue nombreuse se délecter des épreuves concoctées par Francis Klotz, champion d’orthographe 1988. Parmi les fidèles, des habitués qu’on retrouvait chaque année en famille, petits et grands se livrant aux joies de la dictée. Les nouveaux venus, qui ne savent pas encore ce qui les attend et, que le maître de cérémonie a déjà repéré, font figure de premiers de classe.

Simple, enfantin, élémentaire, mais on ose, ici, à peine évoquer ce cher Mr. Watson, d’une certaine littérature populaire anglo-saxonne… Francis Klotz a de nouveau joué en virtuose avec les difficultés (cachées) de la langue française. Par un texte subtil et empreint de délicatesse, mitonné comme d’habitude pour la seule occasion, il a séduit son public venu conjuguer le mot dicter à sa façon et, à tous les temps. Il s’agit d’un comédien faisant ici ses adieux en un théâtre plein comme un œuf. A l’exemple de cette salle comble du palace.

Déjà, on attend les pièges, on espère l’entourloupe, on soupire après les tournures malintentionnées, on affute sa pointe sèche… Que cette première lecture de la dictée semble lisse et docile. Si facile. Se serait-on trompé d’exercice ? Cherchez l’erreur… et les accents circonflexes placés à point nommé : dû, fût, pût, ces petits verbes courts et si souvent utilisés, vous les libellez comment ? Oui, il conviendrait de se sentir un tantinet benêt et, peut-être hâbleur ou, à défaut, encore duègne acariâtre. Facile de mettre le petit chapeau où il faut ? Ô paradoxe, ne vous y fiez pas. Et c’est ainsi qu’une masse de petites chicaneries à l’allure innocente vous attendent.

Les traits d’unions sont faits pour être souvent négligés, vous avez raison en ce qui concerne petite main, château fort, pied levé. Mais si c’était faux, il n’y a pas de quoi vous mettre sens dessus dessous ! Maintenant que le rythme est pris et que les mots roucoulent, un retour de saynète et un vocabulaire plus musclé s’imposent pour interpréter les matamores, les crispins, les histrions. Préférez-vous jouer en socque ou en cothurne ? Francis Klotz ne se contente pas de mettre en scène le vocabulaire français, il nous rappelle l’utilisation et le sens des mots. Saviez-vous que socques (sabots) aux pieds, un artiste interprète une comédie, cependant que chaussé de cothurnes (souliers), c’est de tragédie qu’il s’agit ?

Nous restons toujours en plein théâtre, en compagnie de Tchekhov, Beckett et Sarah Bernhardt mais c’est certainement Francis Klotz qui mérite tous nos vivats et hourras. Quant à nous, jouer les folliculaires (piètre journalistes) ou les évaporées capables de sauver le Capitole, c’est-à-dire une petite oie, nous nous y opposons formellement ! »

Comme nous nous opposons aujourd’hui, encore et toujours, à tout baragouin, charabia, galimatias…

Texte G.A.-D. paru dans GHI Agenda du 30 mars 2000 sous le titre : Brunch-dictée du Noga-Hilton Le culot de la simplicité. © GAD

*Noga-Hilton, devenu Grand Hôtel Kempinski Genève est depuis le 1er janvier 2020, Fairmont Grand Hotel Geneva sous la houlette de Fairmont Hotels & Resorts appartenant au groupe Accor.

 

18 février 2021
Photos GAD
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